7 octobre 2015

Il y a 100 ans : Tribune libre

Monsieur le Directeur du Tamatave,
J’ai l’avantage de réclamer l’hospitalité de vos colonnes, pour mettre au point certaine critique théâtrale, émanant du carnet d’un boto de pousse-pousse, parue dans le numéro du 14 courant de la Dépêche malgache. Cette critique est signée Sarah B.
Sarah B. me fait l’effet d’une blasée, du genre de ces individus dont les travers ont enfanté tant de chansons créoles. Quiconque a passé ou vécu à Saint-Denis, Réunion, a dû entendre chanter dans les rues de la ville les jours de Carnaval : « Si n’a pas bonbon Maxence, mi manze pas ; si n’a pas tabac Mazeau, mi fime pas. » C’est suggestif, n’est-ce pas ? Pour Sarah B., pas de théâtre en dehors des théâtres parisiens ; pas d’amusements, même patriotiques, si les acteurs ne sont pas des professionnels, et encore pas des moindres, s’il vous plaît ; dans ce cas-là, aimable Sarah B., vous auriez dû rester à Paris, et ne pas venir à Tamatave, où votre bon goût ne pourrait que s’émousser, s’étioler, s’atrophier. Le champ de Tamatave n’est pas assez vaste, et vos conceptions idéales n’y peuvent évoluer à leur aise.
À un génie aussi transcendant il faudrait un champ plus vaste, un centre tout autre, un Paris en un mot.
Vous étiez bien, sur les Boulevards parisiens. Pourquoi les avoir quittés pour venir échouer sur les arides plages de Tamatave ?
J’ai éprouvé des rancunes en lisant votre carnet du 14 août 1915, et permettez-moi, aimable Sarah B., de vous rappeler ce qu’a dit un grand poète : « La critique est aisée, et l’art est difficile. »
Soyez plus indulgente une autre fois et dites-vous bien que des amateurs convertis en acteurs improvisés ne méritent pas une critique si sévère, surtout quand le but principal de la fête organisée était de soulager bien des infortunes résultant des événements actuels.
Il m’est pénible, Sarah B., d’être obligé de vous donner des leçons de bienveillance, alors que c’est dans le cœur des femmes qu’ordinairement résident les sentiments les plus bienveillants, témoins les Dames de France, de la Croix Rouge, dont le dévouement affectueux est à toute épreuve.
Je vous prie néanmoins de vouloir bien agréer mes sincères et respectueuses salutations.
Au revoir aimable Sarah B.
Ant. De Rosin,
un des organisateurs
de la Soirée franco-malgache
du 8 août 1915.

Le Tamatave

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