30 décembre 2013

Il y a 100 ans : Lettre d’un broussard (1)

Ankorabé, 16 novembre 1913.
Cher Monsieur,
Le respect s’en va !… C’est ce que dit un journal qui m’est arrivé avec pas mal de retard, car la poste, dans la brousse, ne va ni vite ni régulièrement, quand on ne va pas soi-même chercher son courrier.
Et oui !… le respect s’en va !… Nous en savons quelque chose, nous pauvres planteurs que les ouvriers que nous employons traitent de la façon la plus cavalière et souvent la plus insultante. Ils travaillent quand ils veulent, et, il n’y a pas de contrat qui tienne, ils s’en vont quand ils veulent.
Le conseil d’arbitrage, me direz-vous ? Ah ! l’excellente blague, bonne tout au plus à perdre notre temps et notre argent, ainsi qu’à mettre en fuite les ouvriers qui restent, lesquels ont soin de nous planter là, juste au moment où la récolte a le plus besoin d’eux. Il n’y a qu’un moyen, si vous ne voulez pas être ruiné, celui de courber la tête et de ne rien dire.
Mais aussi, si le respect s’en va, à qui la faute ? L’exemple, ou plutôt la leçon, vient de haut, et les Malgaches qui sont de fins observateurs, comme tous les peuples primitifs, s’appliquent à nous imiter dans le bon comme dans le mauvais, et plus facilement dans le mauvais, cela va de soi.
Ceux qui viennent de la ville leur commentent, en les exagérant, ce que disent les gazettes, et je ne saurais vous dire à quel point certains d’entre eux sont contents de voir les insultes que certaine presse, qui se prétend française, déverse tous les jours sur ce qui, dans ce pays éloigné, conquis d’hier, a le droit à tous les respects et à la plus complète soumission, c’est-à-dire au principe même d’autorité qui représente ici la souveraineté française.
Et c’est nous, colons perdus dans la brousse qui en supportons le contrecoup, car, aux yeux de ces primitifs, nous faisons partie, comme Français, de ce principe d’autorité qu’ils voient, avec une satisfaction qui se comprend, bafoué et foulé aux pieds.
Enfin, à quoi veut-on en venir avec ces attaques immondes contre notre gouverneur général qui, ici, personnifie la France ? Que lui reproche-t-on ? Quel est le grief relevé contre lui ?
Le Tamatave
(À suivre.)

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