5 mars 2013

Il y a 100 ans : Le Coche et la Mouche


Le public tananarivien n’ignore pas que M. Picquié avait préparé une mise en scène aussi ingénieuse que brillante pour exalter sa falote personnalité lors de l’inauguration du tronçon Brickaville-Tamatave.
Dans ce but, la presse officieuse avait commencé à le louer pour l’achèvement d’une voie conçue, entreprise et imposée par le prédécesseur exécré. Qu’il nous soit permis, à ce sujet, de rappeler que M. Augagneur eut à lutter, non seulement contre le Cie des Pangalanes, exaspérée d’entrevoir la fin prochaine d’un fructueux monopole, mais encore contre le ministre lui-même dont le siège avait été habilement fait par les monopoliseurs.
Il se produisit alors des scènes d’un haut comique : le ministre circonvenu envoyait dépêches sur dépêches, dénonçant au Chef du Contrôle financier l’entreprise du Gouverneur tenace ; et le Chef du Contrôle faisait en toute circonstance des représentations respectueuses et désespérées : « La route entreprise est la plateforme d’une voie ferrée », criait M. Lebureau. « C’est une route, répondait, impassible, le Gouverneur ; personne n’a le droit de changer ce qualificatif. »
Et, en fait, la voie entreprise resta route jusqu’au jour où elle devint plateforme par l’autorisation de l’achèvement du T. C. E.
Cette autorisation ne fut arrachée que par le renouvellement du mandat législatif à l’ancien Gouverneur de Madagascar : l’interpellation était en perspective, M. Lebureau capitula, et la Colonie put enfin développer l’entreprise si courageusement commencée.
Combien sont lointaines ces luttes homériques : Lebureau a émigré du ministère des Colonies et c’est lui qui, au gouvernement de Madagascar, préside actuellement à la distribution des menues et grandes consolations réservées à la Cie des Pangalanes !
Mais revenons à nos moutons : conscient de la grandeur du résultat atteint, M. Picquié avait imaginé de s’en attribuer le mérite.
Il avait fait battre la grosse caisse, et, comme pour donner raison au proverbe qui veut qu’il n’est festins que de gens chiches, il annonçait des réjouissances extraordinaires : invitations aux corps constitués de Tananarive et de Tamatave, voire même à quelques rares habitants de la Réunion, banquets à Brickaville, à Tamatave, à Tananarive, et, pour achever l’apothéose, un dîner à la Résidence (!), représentation théâtrale, courses hippiques, sans oublier le mât de cocagne.
Restait à payer la carte.
À cet effet, Micromégas, qui avait pris l’initiative des invitations et de l’ordonnance des fêtes, fit appel au public sous couvert d’un Comité des fêtes.
Et ce brave Comité des fêtes, composé des délégations de corps constitués ou non constitués comme la Philarmonique et l’Estudiantina, commença par emboîter le pas.
Mais advint que M. Picquié voulut forcer son talent, chose toujours périlleuse : à son instigation les délégués de quatre groupes, Chambre Consultative, Comice Agricole, Commission Municipale et Chambre des Mines se réunissent le 28 février afin de désigner le porte-voix de la population.
Des indiscrets, des colons toujours enclins à l’émancipation, eurent l’exorbitante prétention de vouloir indiquer le caractère du discours : manifestation économique, exaltation des forces vives de la Colonie, peu ou point d’encens officiel et de circonstance.
Là-dessus, beau tapage et des invectives rappelant les fameuses apostrophes : « Qui t’a fait comte ? – Qui t’a fait roi ? »
Du coup, une scission se produisait, deux des groupes refusaient de s’associer, les yeux fermés, à une pure manifestation officielle. Et la combinaison tout entière tombait à l’eau.
Nous sommes avisés que les mêmes incidents se sont déroulés sous une forme peu différente à Tamatave et que le résultat fut le même : les représentants qualifiés des deux centres refusent d’apporter à M. Picquié un mérite qui ne lui appartient pas.
Et voici qu’à la dernière heure un appel sur affiches tricolores est fait aux hommes de bonne volonté : c’est la Sultative qui marche sous cette bannière indépendante. On peut être assuré qu’un nombre respectable de fonctionnaires répondra à l’appel gouvernemental et soulignera de bravos nourris les harangues officielles.
Quant à l’immense majorité des Colons, pour qui la vie est autre chose qu’un enchaînement de fêtes, elle célébrera le très gros événement qu’est l’aboutissement du Chemin de fer à la mer par la glorification de notre jeune et ardente Colonie, ce qui vaudra infiniment mieux que le pénible repêchage d’un Gouverneur disqualifié.
Le Progrès de Madagascar

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