27 février 2013

Il y a 100 ans : Notre devoir envers les enfants métis


Note préliminaire (et inhabituelle) : le principe de cette série d'articles puisés dans la presse de 1913 consiste à les réimprimer tels qu'ils sont parus, sans commentaires - à chaque lecteur de se faire sa propre opinion sur le climat de la colonie. Aujourd'hui, j'ai quand même fait, en guise de réaction personnelle : Oups ! Et je n'ai pas réussi à le garder pour moi...
Le ministre des Colonies, dans une circulaire parue il y a quelques mois, a attiré l’attention des autorités coloniales, sur la situation des enfants métis. Dans un esprit d’humanité et, peut-être aussi, de dignité, il a rappelé les pères européens à leurs devoirs envers leurs enfants nés de femmes indigènes. À défaut des pères, la collectivité française devrait prendre soin des métis. 
Ces prescriptions, inspirées par des sentiments généreux, méritent le respect dû à leurs intentions : elles seraient d’un effet regrettable si les métis, grâce à leur influence, se multipliaient.
Je ne me lasserai pas de soutenir que le métissage est une plaie de nos Colonies, et une des plus graves. Au lieu de favoriser les unions entre Français et femmes indigènes, l’esprit public doit s’efforcer de les combattre, et l’administration ne rien faire pour les rendre plus fréquentes, pour les légitimer indirectement.
Il est évident que, si le métis, sous prétexte qu’il a dans les veines une dose de sang français, devient un être privilégié au regard des indigènes, que si, à défaut de son père, il trouve, par la seule raison de son origine, une protection exceptionnelle, les inconvénients du concubinage avec les femmes indigènes seront grandement atténués, ces unions prendront un caractère presque légal.
Sous le couvert de l’intérêt qu’il porte à ses enfants de couleur, le Français, colon ou fonctionnaire, pourra étaler, sans retenue, son ménage indigène ; peu à peu l’opinion s’accoutumera à cette exhibition. Le mal, considérable quand il est relativement inavoué, dissimulé, ne connaîtra plus de bornes s’il lui est permis de se montrer au grand jour.
L’union avec les femmes indigènes, sous la forme du mariage légitime ou du concubinage, est, en tous points, fâcheuse pour l’avenir, de notre colonisation. L’administration doit être, à cet égard, plus sévère que les missionnaires.
Préoccupés uniquement du côté moral et religieux, les prêtres des divers cultes ne proscrivent que le concubinage, en opposition avec les lois divines. Pour le supprimer, ils poussent au mariage, contribuant ainsi à multiplier, à consacrer des liens qu’il faudrait briser au lieu de les consolider.
Je crains, qu’en plaçant les métis à part, dans la société coloniale, en les mettant sous la protection de l’administration, le ministère des Colonies renforce l’action des missionnaires, que désormais les unions de Français et de femmes indigènes, provoquées par l’instinct, soient renforcées par l’action combinée des missionnaires et des règlements administratifs.
Il n’était certes pas besoin de cette collaboration des lois civiles et religieuses, aux manifestations des sympathies de nos compatriotes pour les femmes de nos coloniaux.
L’administration ne doit pas connaître, encore moins constituer, une classe de métis. Qu’elle soit obligée de considérer comme Français les enfants de couleur, issus d’un mariage régulier ou reconnus légalement par un Français, c’est à quoi il faut limiter son droit et son devoir. Mais qu’elle arrive à séparer des indigènes, à traiter d’une façon spéciale l’enfant d’une femme du pays, parce que cet enfant est de teint plus clair que ses congénères, passe pour issu d’un père français ou européen, qui ne s’est pas soucié de le reconnaître, c’est dépasser le but.
Dans quelques années, avec ce beau système, nous aurons partout une caste de déclassés. À demi instruits, à demi élevés à l’Européenne, les métis ne seront ni des indigènes, ni des Européens.
S’estimant, en raison de leur origine, en raison de leur semi-instruction, de leur semi-éducation, au-dessus des indigènes, ils voudront les dominer.
Les indigènes, fixés sur leur valeur réelle, souffrant de leurs prétentions, les haïront et de cette haine une part retombera sur les Français, rendus responsables des méchancetés, des violences commises par les métis.
 Vis-à-vis de l’Européen, le métis conscient de ce qui lui manque pour en être l’égal, n’éprouve que des sentiments de jalousie, d’humiliation, prompts à s’exaspérer. La classe des métis interposée entre les indigènes et les colons, sera un élément de désunion, les isolera l’une de l’autre, s’efforçant de les opposer.
Si le métis, au contraire, demeure indigène, suivant le statut de sa mère, il sera perdu dans la masse. Ses défauts natifs ne se manifesteront point probablement, parce qu’une semi-éducation européenne ne les aura pas développés, ne les aura pas révélés. Et puis, ce qui est de première importance, les métis n’auront pas été réunis, formés en une classe, ayant des aspirations particulières, des intérêts distincts.
D’ores et déjà, alors que dans nos colonies nouvelles, les métis sont encore trop peu nombreux pour constituer cette caste qui, dans l’avenir, pourra être dangereuse, les unions avec les femmes indigènes ont de multiples inconvénients.
Si quelques colons ont pu, grâce aux femmes du pays, se procurer plus aisément de la main-d’œuvre en utilisant leurs relations et leur expérience, les administrateurs, les fonctionnaires civils et militaires, subissant leur influence, ont souvent commis de lourdes fautes et de véritables iniquités.
Les femmes indigènes, grâce à l’autorité conquise sur le chef de poste, le garde de milice, en lui donnant des renseignements faux ou tendancieux, sont parvenues souvent à faire la fortune de leur famille, à ruiner leurs ennemis.
Qui dira le nombre des faux complots dénoncés par la ramatoa ou la congaï, les pauvres diables arrêtés, condamnés sur ses indications ? Qui dira les conséquences, formidables pour la paix d’une région, des mesures prises par un fonctionnaire sous le coup des rapports de sa femme indigène ? Que de petits Assuérus, dans la brousse, se soumettent aux désirs d’une Esther noire ou jaune !
On pourrait multiplier les exemples montrant à quel avilissement arrivent des hommes, après quelques années d’une vie isolée, sous la domination de ces Égéries de couleur.
Débarrasser le fonctionnaire de l’emprise de la femme indigène, réduire le nombre des métis, serait une œuvre saine. Qui l’entreprendra ?
Voilà qui devrait tenter les féministes. Il y a en France tant de femmes célibataires qui, épouses de fonctionnaires aux colonies, feraient à la fois leur vie, et rendraient à leur pays un véritable, un immense service !
Victor Augagneur.
Député du Rhône.
Ancien ministre.
Des Annales coloniales.
Le Progrès de Madagascar

Le temps me manque pour terminer l'édition de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913, où ce texte aurait dû paraître avec les précédents.
Mais Janvier 1913 reste disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).
Et je réfléchis à un volume qui regrouperait, de manière moins exhaustive, l'actualité et les commentaires de 1913. On en reparlera.

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