9 janvier 2013

Il y a 100 ans : Visite de Monsieur Picquié aux provinces sinistrées


Le Bagdad, arrivé avant-hier, nous apporte des détails sur la tournée aussi émouvante que pénible, effectuée par M. le gouverneur général à travers les provinces sinistrées, avec un dévouement au-dessus de tout éloge. Les populations ont été profondément sensibles aux marques de bienveillante sollicitude qu’il leur a témoignées, sollicitude qui s’est traduite d’une façon pratique et tangible, par des secours pécuniaires directs, et aussi par l’ouverture de crédits importants pour les travaux urgents, et des réparations aux bâtiments publics.
Mais laissons la parole à notre confrère le Diégo-Suarez, qui, acteur en même temps que spectateur, est mieux qualifié que nous pour raconter ce qui s’est passé.
Sans bruits de fanfares ni cliquetis d’armes, sans fla-fla, le gouverneur général s’est embarqué samedi à midi sur l’aviso Vaucluse. M. Picquié partait à Nossi-Bé, cette belle île si fertile que le maudit cyclone n’épargna pas non plus. Il va apporter aux habitants éprouvés quelques adoucissements et les réconforter par des paroles qui stimulent, portent à lever la tête, poussent vers le travail, bien plus que ne le feraient des larmes plus ou moins sincères.
De Nossi-Bé, le gouverneur général ira à Ambilobe qui fut très éprouvé et, croyons-nous, à Ankify dont les domaines furent très rudement atteints, vers le Sambirano.
Puis, il reviendra à Diégo, d’où il repartira, après un court séjour, pour retourner à Tananarive.
On nous dit qu’il aurait projeté de visiter quelques points de la Côte Est. Nous apprendrions la confirmation de cette nouvelle avec plaisir, car nous avons pris à cœur de rappeler souvent combien cette région mérite qu’on s’intéresse à elle.
Durant les quelques jours que M. Picquié a passés au milieu de nous, il a pu être exactement renseigné sur l’importance des désastres qu’a causés l’ouragan du 24 novembre. De nombreuses photographies lui furent remises, des rapports dignes de foi lui ont été faits. Il y avait – il y a encore – de nombreux et édifiants témoignages des tas de ruines que présentait Diégo, un mois avant son arrivée ici, c’est-à-dire lorsque le terrible météore s’éloigna pour continuer son œuvre de dévastation.
Il a pu voir les lourds bâtiments militaires, solidement assis cependant, ceux-là, démolis et se faire une idée de ce que devaient être les pauvres constructions coloniales des malheureux habitants. Il a pu voir, dans les environs, ce que les éléments en furie avaient fait d’arbres énormes qui furent tordus, déchiquetés, abattus, et se faire par conséquent une idée exacte de la facilité avec laquelle furent dévorées les plantations de nature bien plus frêle.
Il a pu voir les rizières décharnées, des villages anéantis à jamais, entraînés par des torrents impétueux qui, hélas ! firent des victimes humaines dont plus de cent cadavres, en un seul village, Antetezana, sont aujourd’hui sur un mamelon où les survivants établirent un cimetière inauguré et rempli en un jour.
Et peut-on croire que M. Picquié a été insensible en présence de tous ces faits ?… Ce serait ne pas le connaître. Serait-ce parce que, lorsqu’il s’est entretenu avec les personnes qui ont désiré le voir, il n’aurait pas employé des paroles larmoyantes et pris un air invariablement mélancolique, que certains prétendent qu’il est resté indifférent en présence de nos doléances ?…
Et voyons, chers lecteurs, ne vaut-il pas mieux, venant du chef de la Colonie, des paroles énergiques sans brutalité, des paroles paternelles sans faiblesse que des jérémiades ?…
Le gouverneur général connaît la population de Diégo. Il n’ignore pas qu’il s’y trouve des colons travailleurs et courageux que l’adversité elle-même n’anéantit pas. Il sait quel remède doit efficacement soulager nos malheurs du moment. Il sait qu’il faut nous donner les moyens d’utiliser nos capacités et notre activité. Ce remède c’est le travail et il nous le procurera.
Ce n’est pas à la charité que nous devons faire appel ; c’est à nos bras et à notre tête. M. Picquié dont nous connaissons bien la clairvoyance, la loyauté et la bonté, utilisera ces moyens et nous relèverons notre vieux Diégo.
Certes, des événements comme celui qui vient de nous frapper, ne sont pas faits pour nous mettre de la joie au cœur ; mais songeons que nous sommes des coloniaux !
Des coloniaux ! C’est-à-dire une sélection déjà. Nous avons généralement bonne santé – un coffre solide. Nous avons de la tête aussi et de la volonté.
Ces coloniaux ! C’est-à-dire des pionniers qui nous trouvons sur un champ de bataille, où tout n’est pas rose, c’est bien vrai : mais où, à tout prendre, on n’est pas dans un bagne. L’on y trouve bien du mauvais temps, mais l’on y peut employer assez utilement ses moyens et l’on y rencontre, à côté de la simplicité, des amitiés sincères qui réconfortent et adoucissent les mauvais moments.
Ces choses-là, M. Picquié, qui ne fut pas un colonial en chambre, ne les ignore pas. Il sait comment il faut remonter les hommes qui viennent de subir un mauvais coup, quand ces hommes sont des coloniaux vrais.
Soyons bien sûrs qu’il fera pour nous ce que nous méritons qu’il soit fait.
K. Gyre.
Le Tamatave

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Janvier 1913.
L'ouvrage est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).

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