13 janvier 2011

Trois questions à Johary Ravaloson

Depuis le mois de novembre qu'il est paru, ou plutôt depuis le mois de décembre où je l'ai lu, je me promets de parler en détail du premier roman de Johary Ravaloson, Géotropiques. J'aurais voulu expliquer en détail ce qui m'y attache et les faiblesses que j'y trouve. Mais le temps me manque et, plutôt que d'attendre de le trouver, je publie les réponses que Johary a faites aux trois questions que j'avais posées à plusieurs écrivains de la rentrée littéraire (pour Le journal d'un lecteur).
Je signale aussi que l'édition dont je montre la couverture n'est pas disponible à Madagascar, où Dodo vole a publié le même livre dans une autre présentation, et où on le trouve donc en librairie.

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, Géotropiques. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Ces 700 ne sont rien au regard des rayons des bibliothèques que je fréquente. Ce qui m'effraie parfois c'est ma prétention à me faire une place dans cet univers en perpétuelle extension (sûrement fourmillant de tombes et d'autres rebuts).
Il y a quelques années quand j'ai annoncé à mon directeur de thèse que je ne ferais pas long feu dans la recherche et l'enseignement pour me consacrer à l'écriture, elle – c'est une grande dame du droit international, rigoureuse et généreuse à souhait - m'a demandé si j'estimais réellement avoir quelque chose à dire au monde. Je n'avais jamais réfléchi sérieusement à la question de la littérature sous cet angle. J'ai toujours aimé lire et, tout jeune, vers neuf/dix ans, je me disais que j'allais écrire aussi mes livres. C'était en même temps des copies, les 4 amis au lieu des Club des 5, des aventures avec des Dahalo, voleurs de zébus, au lieu des contrebandiers dans la Méditerranée, cependant le sentiment que mes histoires n'avaient jamais été écrites m'animait déjà. Par la suite, c'était devenu une conviction. J'écris à la marge de la périphérie. Et c'est peut-être ma chance! Quand j'ai connu la littérature des fils d'Afrique, de Harlem, de Haïti ou d'autres banlieues de la terre (Sony Labou Tansi, Kourouma, Chester Himes, J.E. Wideman, Glissant, Chamoiseau, Marie Vieux-Chauvet, Dany Laferrière, Marie N'Diaye, Rushdie, Naipaul, Kureishi, etc., il y en a plus de 700), la question du comment m'absorbait déjà davantage. Car il me semble finalement que c'est toujours la même histoire: moi et «la» femme, moi et mon rapport au monde!
Quant au pourquoi, c'est le plaisir pour dire vite. L'acceptation de soi que permet l'écriture. Puis ma culture malgache m'a aidé à répondre au reste. Je veux devenir ancêtre, l'ancienne solution d'être au monde, m'accrocher à la paroi pour ne pas disparaître trop vite. Parfois, comme dans Géotropiques, je réponds (j'espère correspondre) à certains auteurs que j'aime bien, une sorte de reconnaissance de dettes puisque c'est la lecture qui m'a amené à l'écriture. Et là, ce n'est plus une prétention mais un sentiment d'appartenance à une grande famille, même si je me perçois comme le vilain petit canard.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Géotropiques est mon premier roman publié. J'en ai écrit auparavant deux autres avec des thèmes bien précis, des trames romanesques très élaborées - j'apprenais à écrire -, ils n'ont pas été publiés! Pour celui-ci, je ne voulais d'aucune règle - j'aspirais à devenir écrivain dégagé - et ne désirais parler que de ce qui m'intéressait (ce que j'aime et ce qui me fait peur).
Du surf, du sexe et de la mort. Rien que ça. A la fin de la première journée d’écriture, dans le premier chapitre initial (devenu premier chapitre de la deuxième partie), les personnages ont fait l’amour trois fois et assisté à un meurtre d'une violence préhistorique, j’étais très content de moi. Pour corser, j'ai ajouté un troisième personnage. Un autre homme derrière la femme. Puis des vagues. Quelques jours plus tard, un ami a trouvé la mort au Pic du Diable, un spot du sud de La Réunion que je fréquentais également tous les jours. Le requin-marteau qui a emporté le bras de Sébastien aurait pu emporter le mien, l'océan Indien en quelques minutes aurait absorbé tout mon sang. C’était la fermeture du Pic (titre initial). Alors un premier pourquoi a entraîné d'autres questions: qu'est-ce que je fais là à lambiner sur une planche? Le sens de tout ce cirque qu'est la vie, le bonheur, la recherche du bonheur si loin de chez soi pour un immigré comme moi, l'identité et le rapport à l'autre, la raison des attractions, du déplacement, le géotropisme!
Le sexe était devenu accessoire. Je parle, bien sûr, pour le livre. Demeurent néanmoins les questions. Par ailleurs, la façon dont Djian louange Bret Easton Ellis (très moderne, certes) ou Houellebecq, des auteurs qui jouent beaucoup sur le sexe, m’horripilait. Je voulais réagir. Tout le texte en effet on peut le voir comme une réaction (un tropisme). Sans vergogne.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Bien sûr! Même si je ne peux pas rendre compte de tout ce qui a nourri mon écriture. Au départ, je me suis mis à l’ombre de Brautigan et me suis mis à parler fort sans que je m’en rende compte. D'autres auteurs que j'aime bien surgissent également dans le texte. Je peux citer au moins Laferrière pour la liberté de ton. Je dois évoquer également l'école de peinture impressionniste pour la façon dont j'ai livré Géotropiques. Je voulais éviter la chronologie et la description psychologique (évidemment, on ne peut pas s'en dégager tout à fait): j'avançais touche par touche pour dépeindre la vie et les rencontres des personnages, et vague par vague, mes idées - des vagues métaphoriques, le surf demeurant finalement la figure, le trope du roman. Géotropiques évoque en effet les attractions autrefois improbables ou réprouvées, devenues nécessaires sinon obligatoires à notre époque caractérisée par l'intégration globale, la vitesse et l'individuation... un monde de surfeurs.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire