7 décembre 2008

Hery Mahavanona au forum littéraire du CCAC

Nouveau forum littéraire, hier au CCAC à Tana. J'y présentais, cette fois, Hery Mahavanona, auteur de trois recueils de poèmes et de deux nouvelles, pour ne parler que de la part publiée de son oeuvre.
Voici le texte que j'ai prononcé en ouverture de ce forum.

* * *

Je dois le respect à Hery Mahavanona. D’abord parce qu’il est mon aîné. Pour un an seulement, mais quand même. Et puis aussi… mais là, je devrais peut-être lui en vouloir, plutôt… parce qu’en 1999, j’avais inconsidérément envoyé un manuscrit au Prix de poésie Grand Océan, que je n’avais évidemment pas gagné – je n’avais pas cette prétention – mais… presque quand même. Un certain Hery Mahavanona l’avait emporté, suivez mon regard. Oui, je devrais vous en vouloir, Hery. Si vous n’aviez pas été couronné cette année-là avec Urgence d’écriture pour l’émergence annoncée du Mont Ikongo, je serais peut-être maintenant riche et célèbre… (Si la poésie rendait riche et célèbre, bien sûr.)
Vous êtes né à Ikongo, ou Fort-Carnot, en pays tanala. Même si vous en êtes parti assez vite, on verra que vous y êtes resté fidèle. Comme tout le monde ne sait peut-être pas exactement ce qu’est le pays tanala, je voudrais citer le paragraphe d’introduction d’un texte paru en 1905 dans la revue Le tour du monde, dans lequel le lieutenant Ardant du Picq présente Une peuplade malgache, plus précisément : Les Tanala de l’Ikongo.
« Le district de l’Ikongo est situé au sud-est de Madagascar, à 40 kilomètres de la côte, entre le Betsileo et la région côtière. Lorsqu’on y pénètre en venant du Betsileo on éprouve une impression de satisfaction, car on quitte une région d’une désespérante monotonie, où tout est gris et triste, où rien ne vient jeter de gaieté sur un morne paysage, pour affronter tout à coup une forêt qui s’étend à perte de vue, sombre, mystérieuse et immense. »
La forêt, un Cauchemar de chlorophylle ? J’anticipe, car c’est le titre de votre dernier recueil en date, celui dont nous allons parler ensemble tout à l’heure. Je voudrais revenir à vos premières années, que vous avez passées à Mananjary, là où vos parents avaient été nommés – votre mère était institutrice, votre père, fonctionnaire. A Mananjary, il y avait un aéroport, près duquel vous viviez. Et c’est là, dans votre enfance, quand vous montiez sur le toit pour regarder les avions, que votre vocation est née : vous seriez pilote ! Un problème de vue a contrarié l’accomplissement de ce rêve de jeunesse sans pour autant l’abolir tout à fait.

A Manajary, vous ne passez pas toutes vos journées à regarder les avions, bien sûr. Vous allez à l’école, au collège. Puis au lycée à Fianarantsoa, où vous décrochez le bac, point de départ pour des aventures plus ouvertes. Vous entrez à l’armée – l’armée de l’air, bien entendu, je ne vois pas comment vous auriez pu envisager une autre arme. Et l’armée vous envoie à Bordeaux pour cinq ans, au terme desquels vous possédez une formation d’ingénieur mécanicien ainsi qu’une spécialisation dans la maintenance des hélicoptères – cela, c’était à Chambéry, et vous êtes aussi passé par Salon-de-Provence. Une belle ouverture sur le monde qui vous a beaucoup appris, me disiez-vous il y a quelques jours…

Fort de votre savoir et de votre savoir-faire nouvellement acquis, vous rentrez alors à Madagascar en 1976. Vous êtes lieutenant à la base de l’armée de l’air à Ivato. Il y avait là, vous souvenez-vous, une bonne flotte de DC3 dont il fallait assurer la maintenance, sur la piste et lors des réparations. Vous deviez convenir au poste puisque vous devenez patron de la maintenance sur la base et qu’en 1983, vous êtes à nouveau envoyé en France pour poursuivre des études.

Cette fois, il s’agit d’obtenir un titre de docteur en ingénierie aéronautique, à Toulouse. Vous rédigez donc une thèse qui porte sur les écoulements pulsatoires.

Ah ! Les écoulements pulsatoires… ne dirait-on pas le titre d’un poème ? Ce n’était pas pour autant le titre de votre thèse, bien plus compliqué que cela – vous me pardonnerez, j’ai zappé le titre…

En même temps, vous suivez aussi une formation en gestion des entreprises. Oserais-je avancer une hypothèse hardie ? J’ai l’impression que vous en faites trop, à ce moment, pour trouver encore votre place dans l’armée de l’air. Vous êtes surqualifié, et que va-t-on faire de vous quand vous rentrez à Madagascar en 1988 ?

Après une période de flottement, vous devenez conseiller technique au Ministère des transports, pour l’aéronautique, cela va sans dire, et on vous propose de conduire un projet qui devrait conduire à la privatisation d’un certain nombre d’aéroports malgaches.

Cette fois, bien qu’appartenant toujours à l’armée de l’air, vous avez mis le doigt dans l’engrenage du civil. Assez naturellement, étant donné votre expérience et vos compétences, vous êtes nommé directeur de l’aéroport d’Ivato. Nous sommes en 1989, c’est le moment où commence à se mettre en place l’ADEMA (Aéroports de Madagascar), société de droit privé qui est un peu le fruit du projet que vous aviez mené au Ministère des transports. Vous en serez, assez logiquement, le Directeur général adjoint de 1991 à 1995 avant de devenir Directeur général jusqu’en 2004. Puis vous êtes, pendant un an et demi, Directeur des combattants nationaux, liste de 1947, ce qui vous rappelle des événements que vous n’avez pas connus mais qui se sont déroulés notamment dans l’Ikongo. Et vous êtes actuellement rattaché au cabinet du Ministère de la défense.

Oui, mon général !

Car, de peur de m’embrouiller dans les galons et les étoiles, dans une hiérarchie qui m’a toujours semblé mystérieuse, j’ai passé sous silence votre ascension progressive au sein de l’armée de l’air, jusqu’à ce grade de général qui est le vôtre.

Une carrière bien pleine, n’est-ce pas ? Et qui ne vous a pourtant pas empêché de contracter, très tôt, le virus de l’écriture. Vous avez eu la chance – cela commence souvent ainsi – de subir l’influence bénéfique d’un professeur de français qui vous a fait découvrir la poésie. Hugo, Senghor, Césaire, ont été vos guides. Et, avant même d’avoir 18 ans, vous aviez écrit deux recueils – que nous ne lirons probablement jamais puisque vous portez maintenant sur eux un jugement assez sévère.

En 1971, vous recevez le deuxième prix d’un concours de nouvelles organisé par la Star – l’histoire ne dit pas, et je ne veux pas le savoir, si vous aviez trouvé l’inspiration au fond d’une bouteille de THB. Kotomena le pêcheur, c’est le titre de cette nouvelle, est publié avec les textes d’autres lauréats.

L’année suivante, vous venez d’arriver à Bordeaux, vous écrivez un long poème, Chant de fin de nuit, où l’on sent les influences – Senghor, en particulier – mais aussi la volonté de vous réenraciner dans la terre malgache que vous avez à peine quittée. Ce texte clôt votre premier recueil, dont j’ai déjà cité le titre : Urgence d’écriture pour l’émergence annoncée du Mont Ikongo. Recueil construit patiemment, pendant plus de vingt ans, et dont la première partie, cela n’étonnera personne, s’intitule : Pays tanala.

Cinq ans se passent avant la sortie d’un deuxième recueil de poèmes, Lumière océane du petit matin.

Vous avez aussi publié une nouvelle, Sadikamena, dans le recueil collectif dirigé par Dominique Ranaivoson, Nouvelles de Madagascar – et vous étiez ici, avec quelques autres écrivains, pour en parler lors de sa sortie. Il y aura une autre nouvelle écrite par vous dans le deuxième volume.

Mais surtout, voici maintenant le troisième recueil de poèmes, Cauchemar de chlorophylle, qui commence ainsi :
« Non, je n’en ai pas fini
fini de hurler
dans le vide sidéral des consciences assoupies
fini de prêcher mon catéchisme vengeur
dans les déserts réfractaires de la passivité »
C’est ce livre en particulier, et plus généralement (mon général !) la manière dont vous conduisez votre travail littéraire, que nous allons donc évoquer ensemble aujourd’hui. Avant de vous céder la parole, je voudrais revenir au texte d’Ardant du Picq que je citais tout à l’heure. Il y écrit aussi ceci :
« Il existe dans l’Ikongo une poésie populaire, rustique et primitive, qui ne manque pas de pittoresque. Elle est le reflet du caractère et des mœurs des Tanala : grands chasseurs, parcourant sans cesse la forêt, profonds observateurs des mœurs des animaux, doués en même temps d’un bon sens plein de rusticité et de franchise, comment n’auraient-ils point inventé d’ingénieux rapprochements, et formulé de sages mais primitives sentences ? »
Je ne sais pas si vous devez quelque chose à cette tradition. Mais je peux déjà dire que votre poésie n’a rien de primitif.

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